01/09
2020

Prévention, bonnes pratiques et grands risques de santé publique : le baromètre santé conduit par Odoxa en partenariat avec la FG2A a observé les pratiques des Français en matière de nutrition, d’alcool, de tabac ou encore de cannabis, avant, pendant et après le confinement. Le point de vue de Thomas et Antoine Bertrand, membres de la commission santé de FG2A et respectivement COO et CEO de Pheal, sur les résultats de l’étude.

 

Comment percevez-vous l’étude dans son ensemble ? Les résultats vous étonnent-il ?

C’est compliqué à dire vu les nombreuses facettes de cette étude, de la perception de la crise à la perception des risques ou du sentiment d’insécurité liés à la crise. Nous ne sommes cependant pas très étonnés du fait que les Français pensaient agir correctement alors même que ce n’était pas forcément toujours le cas. Avec les messages contradictoires relayés sur les masques et le maintien des municipales alors que tout fermait en parallèle, il n’est pas si étonnant que les citoyens aient été perdus dans les différentes communications mais pensaient bien faire.

 

Êtes-vous étonnés que les Français estiment être aussi bien informés sur les risques alors même que beaucoup d’entre eux ont des pratiques à risques (prise de poids, alcool, tabagisme…) ?

Nous trouverions intéressant de distinguer ici les maladies chroniques. On s’est étonné de voir au début de l’épidémie que ces malades n’étaient pas autant touchés par le virus proportionnellement au reste de la population, jusqu’à se demander si ce type de profil était davantage à risques. En réalité, c’est probablement l’éducation thérapeutique des patients, leur savoir expérientiel avec la maladie, qui leur a permis d’éviter la plupart des risques liés au virus. Cela dit, on a bien vu lorsque l’épidémie s’est ensuite généralisée que cette population présentait souvent plus de risques graves dus aux complications liées à leur maladie.

Plus généralement, en ce qui concerne les pratiques à risques, le problème est que les consommateurs ne voient pas nécessairement les conséquences de leurs actes à court-terme et l’être humain n’est probablement pas conçu pour la projection des risques à long-terme. Pour bien agir en matière de prévention, il faudrait pouvoir prendre en compte l’environnement et mieux anticiper les conséquences des différentes pratiques. L’analyse de signaux faibles est une des clés à ce sujet, en lien avec une éducation à l’interprétation de l’évolution de ces signaux.

 

Considérez-vous que la sphère politique influence les prises de positions scientifiques et/ou médiatiques ?

Il est certain que le monde politique a non seulement la capacité mais également l’objectif, d’influer sur la vie globale des citoyens et l’opinion du grand public. On a cependant remarqué avec le coronavirus que le vrai défi, dans le monde scientifique qui a sa propre temporalité et une posture sceptique, est qu’il n’y a de vérité qu’en contexte. Il serait dangereux de croire à la vérité absolue : ce que l’on sait ne vaut que jusqu’à ce qu’on en démontre l’invalidité ou les limites.

Cela dit, l’inverse est vrai aussi, le monde scientifique influence réciproquement le monde politique pour éclairer au mieux sur la situation de manière la plus objective possible. On l’a vu avec la création du conseil scientifique pendant cette crise. Nous nous étonnons malgré tout qu’il n’y ait pas eu de représentant(s) des usagers, au titre de leurs savoirs expérientiels, notamment des 20 millions de malades chroniques vivant en France, particulièrement affectés par cette crise et ses conséquences.

 

Pensez-vous que la défiance des français vis-à-vis du Ministère des Solidarités et de la Santé soit légitime ?

Oui et non. Cette défiance n’est pas vraiment légitime, bien qu’elle soit compréhensible : des erreurs, notamment de communication, ont été commises mais la situation était inédite et très compliquée à gérer. D’autres pays comme la Chine ou Singapour ont donné l’impression de mieux s’en sortir mais la population est surveillée, ce qui a facilité la mise en place de dispositifs. Plus on a de libertés, plus la gestion de crise est compliquée, nécessairement. Il faut surtout éviter de tout mélanger : à tout mettre au même niveau (scientifique, politique comme médiatique), on crée une défiance généralisée.

 

Quel regard portez-vous sur l’amélioration des pratiques de santé dans les autres pays européens ? Selon vous, cette tendance va-t-elle se poursuivre ?

Les approches de santé sont différentes dans chaque pays, notamment au Royaume-Uni et concernant les maladies chroniques. En France, les hôpitaux sont payés majoritairement à l’acte (T2A) et ne bénéficient pas de revenus qui leur permettent d’investir dans la prévention et de mettre en place des systèmes plus responsabilisants et moins couteux au long terme. Tout le système se bâtit ensuite sur cette base. En France, nous avons une très bonne organisation au niveau des équipes mais il nous manque les moyens pour déployer une véritable politique de prévention. On peut espérer qu’avec le Ségur de la santé l’accent sera mis sur la prévention.

 

D’après vous, à quoi est due l’amélioration du comportement des Français dans la consommation des produits à risque ?

L’amélioration du comportement des Français est sans aucun doute due à la surmédiatisation des enjeux sanitaires inédits auxquels nous avons dû faire face. Les risques pour la santé ont été soudainement remis sur le devant de la scène : nous sommes une génération qui n’a pas été trop confrontée à ce sujet et qui a oublié de nombreuses évidences, du fait nous vivons dans un monde aseptisé dans lequel tout est sous contrôle. Il faut visiblement être exposé à la maladie pour prendre conscience que des risques sanitaires existent toujours.

 

Quelle est votre vision de la suite post-Covid en matière de santé ?

L’apprentissage des gestes barrières a été efficace et devrait perdurer. Nous avons également réappris que nous sommes loin d’être tous égaux face à la maladie et qu’il faut être solidaires pour diminuer les risques pour tous. Il faut oublier l’égalité au profit d’une équité des soins, qui donne à chacun en fonction de ses besoins, via une politique de prévention adaptée et solidaire. La prévention est incontournable : il est plus que jamais nécessaire de la mettre au premier plan.

 

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